CLASSIFICATION
TERMINOLOGIE
ORIGINES
LES COUSINS DE L’ÉPINETTE DES VOSGES
L’ÉPINETTE DES VOSGES DANS LES VOSGES
USAGES
HISTOIRE LOCALE LE VAL D’AJOL
HISTOIRE LOCALE GÉRARDMER
HISTOIRE RÉCENTE

CLASSIFICATION

L’épinette des Vosges fait partie des cithares sur table (dans le système d’Erich von Hornbostel et Curt Sachs publié en 1914) ; cithare, c’est-à-dire cordophone sans manche, sans cou, dont les cordes sont parallèles à la table.

Cet instrument a ceci de particulier de comporter à la fois un groupe de chanterelles qui passent au-dessus de frettes, (cet ensemble de frettes est dénommé la touche) et un autre groupe de cordes appelé bourdon(s) ; ces cordes, toujours en métal, sont accordées généralement sur la fondamentale, la dominante et parfois la médiante (Do, Sol et Mi).

Ce système de bourdon apparente alors l’épinette à d’autres instruments tels que cornemuses et vielles à roue, instruments auxquels elle peut emprunter avec bonheur le répertoire.

Le nombre de cordes, que ce soit pour les mélodiques ou pour les bourdons a été, et reste toujours variable ; il ne constitue pas un argument de classification.

TERMINOLOGIE

La similitude de son avec un petit clavecin – dit virginal – a certainement donné son nom actuel à notre bûche à musique. La mention “des Vosges” a été ajoutée pour la distinguer de l’aristocratique clavier.

Autre sujet de méprise terminologique, le dulcimer des Appalaches (plucked) ne doit pas être confondu avec le dulcimer à marteau (hammered) qui est, lui, un tympanon, un Hackbrett quoi.

La différence entre épinette (européenne) et dulcimer (américain) n’existe pas vraiment : le dulcimer compte moins de cordes que l’épinette : quatre généralement, et la plupart des instruments étatsuniens sont actuellement frettés sur toute la largeur de la touche, ce qui permet des accords complexes avec la ou les cordes graves. La variété de formes est aussi grande chez eux que chez nous, même si le standard “sablier” (hourglass) semble s’imposer.

Édith BUTLER, musicienne canadienne, propose, pour à la fois clarifier l’organologie et réconcilier les deux continents, d’appeler tous ces instruments des dulcimers des Vosges. La dénomination des instruments populaires est aussi changeante que pléthorique.

Hormis le petit clavecin, l’épinette désigne aussi :
- un arbrisseau (XIVe siècle),
- une cage à compartiments, en osier, destinée à l’engraissement de la volaille,
- l’épicéa blanc, du Canada (Picea glauca),
- la bière de Terre-Neuve, faite avec les pousses de l’épinette blanche,
- une cheville de bois dur pour reboucher les trous d’insectes (meubles ou tonneaux),
- un hameçon fait avec des épines d’arbustes,
- un sécateur à vendange, en Champagne.

Les rues (et quartiers) de l’épinette sont fréquentes dans de nombreuses villes de France.

ORIGINES

L’origine et la pratique populaire de l’épinette font que les premières mentions iconographiques et écrites sont récentes. Celle-ci ressemble fort au monocorde des anciens Grecs qui servait alors plus d’instrument mathématique dans la détermination des gammes – par les divisions harmoniques – que de véritable instrument de musique. Plus tard, dans les cabinets de physique au Siècle des Lumières, on a appelé cet outil sonomètre.


Musée instrumental de Berlin, photo CT

L’épinette s’apparente au kin chinois ou au koto japonais, mais les chaînons manquants qui sont à exhumer restent innombrables...

Un hommel est cité à Cologne en 1508, utilisé lors d’une procession ; il pourrait aussi s’agir d’une cornemuse, mais comme cette dernière est aussi mentionnée, il faut bien admettre que nous sommes en présence d’une “épinette en bandoulière”.
Source : Ulrich instrumente

La représentation la plus ancienne connue est celle où un ange semble gratter une bûche en compagnie de trente autres anges musiciens (église de Rynkeby, à Fyn, au Danemark, en 1562). Image ci-dessous, prise dans le site “Nordenskirker”.

En Norvège près de Gjøvik, on a trouvé un langeleik gravé 1524, en état de jouer ! On n’est pas tout à fait certain de l’authenticité de cette date. En 1619, Michaël PRÆTORIUS, musicien du Nord de l’Allemagne, fait un état des lieux du matériel instrumental et publie son Syntagma Musicum. Il représente un Scheitholt (bûche de bois) et en parle comme d’un instrument de gueux : Lumpeninstrument.

Voir également Scheitholt und frühe Formen der Kratzzither

et Everything dulcimer (forums)


Représentation du Scheitholt de Praetorius
Texte intégral de Michaël PRÆTORIUS

Exemple de son du Scheitholt

Des vidéos de Scheitholt : Das Scheitholt

LES COUSINS DE L’ÉPINETTE DES VOSGES

On trouve l’épinette en Norvège sous le nom de langeleik ou langhörpu avec des frettes en bois parfois rehaussées d’os pour éviter leur usure.
En Islande, sous le nom de landspil et jouée à l’archet. Voir une photo ancienne.

Ou la video : YouTube

Le langspel n’est plus guère utilisé en Suède. En Finlande, le versikantele sert à accompagner les psaumes.

Vous pourrez voir tous les langeleiker possédés par les musées norvégiens sur le site : DigitaltMuseum

Il vous suffira d’écrire le mot langeleik dans le champ de recherche (: søk).

De multiples formes se sont développées dans les vallées alpestres sous les noms de Kratzzither, Zwecklzither, Streichzither, Hexenscheit (bûche de sorcière), Bergzither (cithare des montagnes).
Vous en verrez une belle panoplie chez Museum der Universität Leipzig

L’ultime aboutissement de cette lutherie est la cithare de concert, avec plus de trente cordes, immortalisée par Anton Karas dans la musique du film de Carol Reed : Le Troisième Homme (The Third Man) (1949).
Visitez le site des Amis de la cithare

Et puis le site de Lisbeth Genghammer

Sans oublier : Zithern & Hackbretter

Et puis plus oriental, le drôle de bulbul taranga avec ses touches de machine à écrire.

Cet instrument est également appelé taishokoto ou banjo japonais ou banjo indien.

La Belgique connaît l’épinette sous des noms tels que vlier, spinett, kloonkviool, parfois mandoline, hommel, bûche de Meuse, épinette des bateliers ou violon de tranchée, des dénominations qui témoignent de leur localisation et des musiciens qui l’ont pratiqué ou la pratiquent toujours.

La Hongrie recense aujourd’hui 20000 joueurs de citera, Celle-ci était traditionellement utilisée par les bergers de la plaine : on la rencontre maintenant dans des formations de 5 à 7 instrumentistes de grande virtuosité, capables d’interpréter du Lizst ou du Brahms sur un ensemble de citerak (au pluriel) qui vont de l’instrument basse jusqu’au piccolo.

En pdf et en français, cet ouvrage de Tibor Gáts, luthier à BudaPest :
La citera, méthode de base” (1,7 Mo)

Entendre et voir jouer un des instruments de Tibor

La région lilloise, le Cambrésis connaissent bien l’épinette du Nord. Des travaux récents ont fait apparaître une belle diversité et une richesse instrumentale insoupçonnées, notamment dans les milieux ouvriers. La maison des frères Coupleux, établie à Tourcoing, a produit entre 1900 et 1935 des épinettes de formes et tailles variées, de façon industrielle et vendues nationalement.
Une page de Jean-Jacques Révillion
Un site passionné qui parle de l’épinette et la fait entendre. Par un musicien de l’Artois
Et puis aussi : l’épinette flamande

En Pennsylvanie, dans l’Ohio et le Kentucky, le dulcimer des montagnes a la forme d’un sablier, d’une goutte d’eau ou d’un long triangle et comporte de trois à cinq cordes.

Pour en savoir plus about le dulcimer :

En français : le site de Cristian Huet

et surtout EverythingDulcimer

et pour en entendre, façon bretonne, pardon celtique, par Cristian Huet : Mary Pontkallec et Old music for new years, The Mountain Dulcimer, Jerry Rockwell’s Mountain.
Le superbe duo : Barret & Smith

D’autres liens en page d’accueil, cliquer sur l’Union Jack.

Et aussi en page Liens.

L’ÉPINETTE DES VOSGES DANS LES VOSGES

Le nombre de cordes est très variable. L’instrument est de forme rectangulaire ou trapézoïdale parfois posé sur une deuxième caisse de résonance aux contours arrondis.
Il n’existe pas d’épinette standard, tout au plus des analogies par région... ou par luthier ; la règle commune étant cordes chanterelles + cordes bourdons.
De par son caractère modal, elle s’apparente aux cornemuses et à la vielle à roue auxquelles elle peut, sans scrupule, emprunter le même répertoire.

USAGES

L’épinette des Vosges est un représentant tout à fait original du matériel ethnomusicologique de la montagne vosgienne. Sa présence dans d’autres endroits aide, par comparaison, à mieux comprendre les caractéristiques culturelles propres à notre massif. Les Vosges, comme les autres régions où l’on trouve des cithares similaires, sont restées longtemps à l’écart des voies économiques, et donc des courants culturels européens - comme nombre de montagnes, de vastes plaines ou d’îles (Frise, Islande).

- elle n’a pas de dénomination précise, ni le besoin d’en avoir car c’est le seul instrument de musique de la maison.

- facile à fabriquer, elle ne nécessite que des matériaux courants et bon marché du bois sans qualité particulière, du fil de fer ou de laiton.

- elle est jouée par les plus pauvres, dédaignée des autres.

- son apprentissage est aisé et se pratique ’per osum’, c’est-à-dire de façon routinière, d’oreille, souvent en soliste.

- elle se joue à l’intérieur, donc plutôt dans les pays à hiver long. On s’assoit et on pose l’épinette sur une table ou sur les genoux. Le meuble et la chambre amplifient le son de l’instrument.

- comme partout où elle est jouée, elle répond à tous les besoins musicaux de la vie familiale : fêtes de naissance, de mariage, veillées, chants religieux, comptines enfantines, berceuses, improvisations mélancoliques du berger, composition de danses, adaptation de musique militaire ou de la dernière nouveauté à la mode.

En 1808, une jeune anglaise de 18 ans, Miss Sarah Newton, accompagne aux eaux de Plombières en qualité de demoiselle de compagnie Madame de Coigny. Ces lignes sont extraites de son journal de voyage.

HISTOIRE LOCALE LE VAL D’AJOL

En 1730, un inventaire après décès d’un habitant de Fougerolles mentionne “un jeu d’épinette”. Le plus ancien luthier connu est Claude-Joseph VINCENT dit “le Père VINCENT” (1753-1830) qui était un paysan-bricoleur génial d’un hameau du Val d’Ajol (le Dandirant), à proximité de Plombières-les-Bains.

La grande vogue des cités thermales au XIXè siècle, ainsi qu’un certain goût du retour à la nature ont fait fleurir un genre de fermes-auberges appelées alors “Feuillées”, où l’on savourait des produits fermiers en écoutant l’aigrelette épinette.


Une photographie de la Feuillée Dorothée, avant 1878

Chapitre de Guy-Jean Michel, dans La fabrication de l’épinette des Vosges à Fougerolles et au Val-d’Ajol du xviiie au xxe siècle, in Mémoires de la société d’agriculture, lettres, sciences et arts de la Haute-Saône, Vesoul, 1968.

Deux pages d’André RICHARD (d’Éloyes), secrétaire honoraire de l’Association des Vosgiens de Paris.

Autour de 1820, une feuillée du Val d’Ajol était fort prisée des curistes, où chantait en s’accompagnant de l’épinette, la jeune et jolie Dorothée Vançon.
Pierre Heili in Les vosgiens célèbres.
et aussi
Ch. Charton, Les Vosges pittoresques.

Tous les grands de l’époque, nobles ou artistes, “baignants” de Plombières-les-Bains ou de Luxeuil-les-Bains ne manquaient pas une visite à la Feuillé-Dorothée, les plus connus furent Napoléon III et Hector Berlioz. À propos de ce dernier, un article écrit pour un journal, en 1856.

La facture d’épinette était alors une activité hivernale pour beaucoup de paysans des environs. C’était une production en série, mais soignée, de jolis petits instruments qui prenaient place, comme souvenirs, dans les bagages des curistes. Des bois de fruitiers comme le merisier, le noyer ou le rouge prunier (quetschier) étaient astucieusement assemblés, sculptés et polis.

Il ne faut pas oublier Laure Gravier qui, entre 1928 et 1970, a tant œuvré pour la reconnaissance de l’instrument, en jouant dans son hôtel, mais aussi par la radio, le cinéma, la tv et au travers du groupe de Luxeuil-les-Bains : Gauch’nots et Gauchnottes. J’en présente quelques photos

Les luthiers les plus célèbres ont été :

Amé LAMBERT (1843-1908) qui fut le plus prolifique jusqu’à 150 épinettes par an, son gendre Albert Balandier lui a succédé après 1895.

Augustin BERNARDIN,

la famille BOLMONT et leurs beaux pruniers,

Auguste FLEUROT

et plus près de nous, Jules VANÇON et ses épinettes pyrogravées.

Un lien avec un site bien local des Vosges méridionales : L’épinette des Vosges

Quelques détails de fabrication

Einige Beschreibungen über dem Bau

HISTOIRE LOCALE GÉRARDMER

Pour les Vosges, c’est dans les livres de comptes du vicaire de Gérardmer, en 1723, qu’est mentionnée l’épinette pour la première fois. Elle paraît alors bien implantée puisque cet achat les destine à un usage pédagogique “pour apprendre des escoliers à toucher de l’orgue”.

Jean-Baptiste GEGOUT, décédé en 2002 et dont le père est né en 1876, m’avait dit « les musiciens qui aimaient fréquenter les veillées dansantes inventaient de nouvelles valses ou polkas. Sans notion théorique de musique, il suffit de mettre en marche la machine rythmique de la main dnoite sur un air connu et de tâtonner une mélodie de la gauche, jusqu’à obtenir quelque chose de satisfaisant puis de rabâcher jusqu’à ce que que la nouvelle danse soit gravée dans la tête ».

Voici l’intégralité de l’article écrit par Guy-Jean Michel.
Paru in “Arts et traditions de la vallée des Lacs”, p. 141 à 148.
Imprimerie S.A.E.P. Colmar-Ingersheim, le 15 décembre 1978. Dépôt légal 4ème trimestre de la même année - n° 787

Les épinettes des Hautes-Vosges sont plus longues, souvent bien plus rustiques que leurs sœurs ajolaises : pas de marqueterie, des ouïes grossières et une finition approximative. Elles sont par contre beaucoup plus variées. Il n’y a pas eu ici de grandes séries confectionnées l’hiver, mais uniquement des instruments originaux et isolés, destinés à un usage purement familial. Les plus caractéristiques ont une forme trapézoïdale, tant en vue du dessus que de profil et une taille approchant le mètre.

On connaît trois épinettes chromatiques anciennes ; celle des Hauts-Rupts, Gérardmer, par Constant LECOMTE, l’épinette DORIDANT de Xonrupt-Longemer qui est d’une justesse remarquable et surtout celle, très semblable trouvée dans le grenier d’une auberge à Bruyères et dont le millésime de 1834 ne peut guère être discuté.

Dès 1949, par la volonté de faire revivre une singularité culturelle montagnarde, notamment par rapport à la riche et proche Alsace, Jean GROSSIER et les Ménestrels de Gérardmer ont fait découvrir le passé et la vie des vosgiens par de nombreux spectacles folkloriques.

Le répertoire qu’ils ont mis à jour est aujourd’hui utilisé par tous les groupes lorrains qui sentent dans nos montagnes - à l’instar des rivières - la source de leur traditions. Les épinettiers vosgiens de la période des années 60 et 70 furent Marcel GASPARD et Louis GEORGEL. Le relais a été pris par Christophe TOUSSAINT (Sapois) et Jean-Claude CONDI (Mirecourt). De nombreuses épinettes sont toujours fabriquées, avec plus ou moins de bonheur, par des amateurs qui allient travail du bois et musique.

HISTOIRE RÉCENTE

Dans les années 70, la vogue folk touche l’Europe, quelques musiciens s’éprennent du dulcimer des Appalaches pour la facilité de son jeu, la capacité de se marier avec le chant, son ouverture sur l’improvisation à couleur médiévale ou orientale. Ils pensent apporter au vieux continent un nouvel instrument, Mais certains, tels Jean-François DUTERTRE, poussent plus loin leurs investigations et se retrouvent dans les Vosges sur les traces de l’épinette. Des stages internationaux vont avoir lieu à la Maison de la Culture de Gérardmer jusqu’en 1985, qui porteront leurs fruits : beaucoup d’épinettes ont été depuis, fabriquées et jouées dans nombre d’établissements scolaires.

L’épinette poursuit actuellement son chemin, discrète, avec sa lutherie multiforme, toujours en recherche, et ses domaines d’utilisation toujours anssi variés. Elle s’enrichit de nouvelles compositions, joue sans scrupule et avec bonheur la musique de la Renaissance. Elle est reconnue pour être mieux adaptée que la flûte à bec aux besoins musicaux en milieu scolaire. Faisant suite aux rencontres d’épinettes organisées en Haute-Saône, les Vosges ont reçu en juillet 1991, des musiciens hongrois, allemands, suisses, anglais, wallons et flamands qui ont, avec joie et passion, mêlé leurs cordes à celles des épinettistes Vosgiens.

2018