TM8-EPINE1-1E J.F Dutertre


L’ÉPINETTE ET SES MÉTAMORPHOSES


Les instruments populaires ont été l’objet, tout au long de leur histoire, de remaniements successifs, de modifications et d’amélioration qui les ont quelquefois métamorphosés.

En l’espace d’une quinzaine d’années, l’épinette a subi une accélération de son histoire due au “mouvement folk”. Elle était habituée déjà à ces brusques mises en lumière, liées à des phénomènes de mode. Déjà, l’épinette du Val d’Ajol avait connu, en raison de l’engouement pour les bains de Plombières sous Napoléon III et de l’afflux de touristes qui en avait résulté, une vogue exceptionnelle amenant vers la lutherie de simples cultivateurs. Délaissant l’état de petit instrument rustique, elle était parvenue au rang de bel objet de lutherie, richement marqueté et décoré ; s’agrandissant puis se dotant de mécaniques d’ivoire et d’une plus grande tessiture.

Sous une moindre échelle, ils s’agissait de l’apparition d’une lutherie régionale tout à fait originale, inondant les marchés extérieurs (elles furent exportées par centaines, notamment vers la Belgique), semblable en cela à l’école de vielle de Jenzat, et parvenant à créer de véritable chefs d’oeuvres d’art populaire. les instruments d’Amé Lambert ou d’Albert Balandier par exemple, témoignent de la qualité et de l’épanouissement de cette facture vosgienne.

La mode retombant entre les deux guerres (alors qu’en même temps l’épinette connaissait son apogée dans le Nord), cette tradition finit par sombrer dans l’oubli. Il fallut attendre la formation de groupes folkloriques dans les années 50 puis la mode du “folk” pour que cet instrument sorte à nouveau de l’ombre.

Là encore, elle connut de nombreuses modifications. On en a fabriqué des centaines de toutes factures. Mais aujourd’hui, que cette vogue est elle aussi retombée, nous nous apercevons qu’elle a provoqué l’apparition d’un tout nouveau type. Il s’agit de cette épinette à double caisse, ou dite encore “à résonateur”, qui fait fureur chez les meilleurs joueurs d’aujourd’hui. Or cet instrument est le résultat d’une longue et curieuse histoire, mélange de hasards, de recherches et d’apports successifs.

Au départ, il y eut l’acquisition que je fis chez Alain Vian d’une petite épinette semblant dater de l’entre-deux-guerres que j’identifiai à tort comme provenant d’un luthier ajolais. En réalité, et ne le sus que beaucoup plus tard, elle se rattachait aux traditions du Nord de la France. Elle possédait une double caisse d’une forme très agréable et j’étais à la recherche d’un modèle plus. pratique et plus sonore.

Ce fut le déclic. J’allai trouver un ami qui fabriquait dans sa cave et avec des moyens rudimentaires, des dulcimers et je lui demandai de concevoir, à partir de ma trouvaille, un nouveau modèle en l’agrandissant au 7/5. Robert RONGIER se mit à l’ouvrage et m’apporta dans les premiers mois de 1972 le résultat de ses cogitations. Je lui avais dessiné une nouvelle touche, aux frettes agrandies pour permettre le dédoublement des chanterelles et munie d’une altération supplémentaire (le si b de l’échelle modale de do). D’autre part l’instrument était conçu pour jouer principalement en tonalité de sol, au lieu du do majeur de la tradition, la modification se faisant en descendant d’une quarte. La nouvelle tonalité me paraissait plus propice au chant et au mélange avec d’autres instruments. Elle s’est imposée depuis et cohabite aujourd’hui avec la tonalité traditionnelle de plus en plus exclusivement à la musique à danser.

Le résultat fut enthousiasmant : le son était chaleureux, la résonance merveilleuse. Très vite, ce modèle fut adopté par beaucoup de musiciens et de groupes : MELUSINE bien sûr, mais aussi LA BAMBOCHE ( c’est un instrument de Robert Rongier que l’on entend dans “La Complainte de Cartouche” sur leur premier disque), LE GRAND ROUGE, MALICORNE, Emmanuelle PARRENIN, puis Michel COLLEU, Michel ESBELIN, Jacques LEININGER...

Rongier, qui était monteur de cinéma, abandonna la lutherie au profit, et à son propre usage, de la fabrication, en amateur éclairé, d’une bière artisanale assez redoutable, et confia la suite de la fabrication de son modèle à Pierre KERHERVE. Or, il advint qu’un jour celui-ci commit une curieuse erreur. Le besoin de doter l’épinette d’une touche chromatique commençait à se faire sentir. Ce n’était pas iconoclaste. Plusieurs anciens modèles chromatiques avaient été retrouvés dans la région de Gérardmer. Michel Colleu commanda donc à Kerhervé un instrument avec une touche chromatique. Mais celui-ci ne comprit pas très bien les instructions de Colleu. Au lieu de mettre en place une touche chromatique normale (où les 1/2 tons sont rajoutés au-dessus de la touche diatonique), il construisit une large touche diatonique dans laquelle les altérations furent inclues. La superposition provoqua donc l’apparition d’une touche diatonique et d’une touche entièrement chromatique à l’intérieur de la première. C’était une erreur mais elle était géniale car elle permettait la création d’accords jusque-là impossibles (seuls des accords mineurs étaient réalisables sur la vraie touche chromatique), offrait le choix de jeu sur les deux touches pour l’adaptation des meilleurs doigtés et ouvrait la voie à tous les chromatiques souhaités. L’épinette se voyait offrir des possibilités que même un clavier de vielle ne permettent pas (notons la similitude absolue entre clavier et accord de vielle et touche et accord d’épinette).

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